Entretien

Entretien à l’occasion de l’exposition «jardins sensibles-jardins secrets» au domaine départemental de La Roche Jagu, été 2013.

Vous dites que votre travail relève non pas de l’ordre de la raison, du concept mais de l’émotion. Comment cela se traduit-il dans Les Nids ?

Je ne parle pas, il me semble, directement d’émotion pour mon travail, vous devez faire référence à une citation de Louise Bourgeois que j’utilise fréquemment qui dit que ce qu’elle cherche à recréer est une émotion et non pas une idée ou une image. L’émotion, si l’on y parvient, doit être présente dans la réception de l’œuvre mais
pas tellement au moment de sa création. Mon travail est intuitif, je me méfie de l’idée qui pour moi est souvent un piège, je cherche à trouver ce qui m’importe dans le geste et la matière, ou autrement dit dans la sensation. J’ai commencé la série des nids après avoir ramené d’une de mes balades une physalis dont la peau ajourée laissait voir une fine dentelle de fibres et à l’intérieur de cette cage ce fruit rouge-orange vif. Cette observation m’a émue et j’ai commencé mes formes par la suite. Peu à peu je me suis éloignée de cette vision de départ pour me laisser guider par la forme et la recherche de matières, d’enveloppes. Un moment vient, plus tard, où le geste s’épuise et d’autres envies nous mènent ailleurs… la série s’arrête alors.

Vous le dites vous-même, votre travail s’ancre dans la patience, la répétition parfois jusqu’à l’obsession. Que recherchez-vous à travers ce procédé ?

J’ai toujours travaillé dans la répétition du geste. D’abord la marche, puis la collecte et enfin la transformation.Ce qui me vient en premier pour expliquer cela est le côté incantatoire de la répétition. Dans celle ci l’esprit s’égare il perd ses pistes et alors un autre mode d’être est possible, entre présence et absence, où la relation à ce qui est en présence semble accrue et entière. Il n’y a là quelque chose d’un peu hypnotique où l’habituelle maîtrise que l’on opère sur les choses est déroutée et où d’autres correspondances peuvent alors avoir lieu.
A ce propos j’ai lu dans un catalogue d’exposition sur les pratiques textiles ces phrases là : « les ouvrages de Dames génèrent une double conscience : celle d’un faire (…) machinal et rythmique, quasi incantatoire, qui déclenche le flux d’une deuxième pensée toute intérieure(…) Ils deviennent l’alibi d’une liberté délimité en soi ».
Il me semble que l’on peut retrouver dans les formes issues d’un tel travail le tracé de ces mouvements intérieurs où le calme s’est fait et où de nouvelles rencontres ont eu lieu.

Afin de mieux comprendre votre cheminement artistique, pouvez-vous nous expliquer votre processus de création pour Les Cercles par exemple ?

Les Cercles, un peu comme je l’ai expliqué pour les Nids, a commencé avec l’observation d’une plante : la monnaie du pape. Touchée par sa légèreté, sa transparence opaque, et parfois les petites graines prises entre deux épaisseurs de « papier », j’ai eu envie de chercher des matières capables de traduire les mêmes impressions. J’ai donc commencé ainsi à faire des cercles, mélanger des papiers, des végétaux, peindre un peu, écrire quelques
phrases. Une fois le travail commencé je me laisse faire, me laisse attirer par de nouvelles textures (peaux de poissons, algues, bas…). Là encore, quand ça s’épuise j’arrête pour commencer autre chose.

L’univers végétal est omniprésent dans les thèmes et dans les matériaux utilisés. Pourquoi avoir fait le choix de n’utiliser que des matières organiques ?

Ce n’est pas vraiment un choix et d’ailleurs je n’utilise pas exclusivement des matières organiques. J’aime transformer les matières, j’aime faire des essais, des tambouilles et être surprise ou touchée par ce que je trouve. La matière organique est inépuisable pour cela. Je trouve toujours de nouvelles textures, de petits détails, des formes, des attaches, des couleurs. Peut-être parce que ce sont des matières vivantes ou ayant vécues mais cela m’inspire et me fascine car souvent ça parle tout seul